
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Jean-Roger Groult, je suis l’heureux co-propriétaire avec mes soeurs (et également le gérant) des Calvados Groult. C’est une distillerie familiale qui est très ancienne. C’est mon arrière-arrière-grand-père qui a commencé à produire du Calvados dans la famille, en 1860. Ça fait donc cinq générations qu’on produit du Calvados sur notre domaine familial.
Auprès de qui as-tu appris à faire du Calvados ?
J’ai appris auprès de ma famille et du maître de chais qui est toujours en activité aujourd’hui au domaine et qui était déjà là il y a quinze ans quand j’ai commencé à travailler dans la distillerie. Je n’ai pas eu de formation sur la distillation en dehors. Ça s’est fait assez naturellement après mes études de commerce.
Te souviens-tu de ta première distillation ?
Oui, c’était en 2006. J’ai remplacé au pied levé un des distillateurs qui était en arrêt maladie. Je stressais, j’angoissais parce que nos trois alambics qui sont chauffés au bois étaient pour moi comme trois bombes à retardement pleines d’alcool bouillant sous pression. Je n’avais qu’une peur, c’était de faire une grosse bêtise et de faire éclater un alambic. Mais finalement ça s’est bien passé, c’était sympa. C’est la première journée qui était la plus stressante.
Tu étais content du résultat ?
Le résultat était pas mal. La chance du débutant peut-être !

Quel est le calvados dont tu es le plus fier ?
On a une cuvée qui est emblématique de la maison et qui s’appelle Le Vénérable. C’est un assemblage de plus de 18 ans qui est très connu. Mais, et ça va peut-être surprendre, je suis plus fier de notre jeune Calvados qui a 3 ans d’âge et qui représente notre entrée de gamme. C’est plus compliqué de faire un jeune Calvados qu’un Calvados de 20 ans. Il n’y a pas les années en fût qui peuvent cacher un défaut. Un alcool sorti de l’alambic, vieilli trois ans dans des fûts très anciens, qui reste très fruité, vraiment sur la pomme, qui est doux et facile à déguster, on ne trouve pas ça dans toutes les distilleries. Notre trois ans d’âge a donc beaucoup de succès et je suis très fier de ce produit d’autant plus que j’en suis responsable intégralement, dans le sens où ce n’est pas une recette dont j’ai hérité de mes aïeux. Et je sais que tu l’apprécies aussi !
Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de rater un Calvados ?
Sur ces dix dernières années, il nous est arrivé une fois d’arrêter la distillation car on avait ce qu’on appelle l’acroléine. Au moment de la floraison il peut y avoir un phénomène qui fait qu’on a un alcool piquant qui sort de l’alambic. Mais c’est vraiment piquant, ça peut te faire pleurer. Et là, il faut arrêter de distiller, reventiler les eaux de vie, et distiller à nouveau plus tard. Ça on l’a eu une fois, mais on l’a bien corrigé.
Sinon il m’est arrivé, sur le vieillissement, des tentatives pas très heureuses sur des petits fûts, des affinages sur des fûts d’origine différente, de laisser trop longtemps, de ne pas mettre le bon Calvados. Mais ça ce sont aussi des choses qu’on peut corriger assez rapidement.
Mais en général, je touche du bois, on a rarement de mauvaises surprises.

Combien de variétés de pommes as-tu pour tes Calvados ?
On a trente variétés. 70% sont des variétés phénoliques, c’est à dire qu’elles contiennent des tanins. Elles sont amères ou douce-amères pour la plupart et ne sont en général pas bonnes à manger, ce sont vraiment des pommes à cidre. 20% des variétés sont des pommes douces, avec du sucre, qui est nécessaire pour la fermentation alcoolique du cidre évidemment. Et enfin on a 10% de pommes acidulées qui apportent de la fraîcheur au produit fini. Ça on le sent bien sur les jeunes Calvados. L’acidité va aussi nous permettre de stabiliser la fermentation des cidres à distiller. Parce qu’on travaille à l’ancienne en laissant les cidres fermenter entièrement naturellement. On ne rajoute rien, on ne filtre pas. Ce sont les levures indigènes qui font le travail.
Fais-tu des cidres en mono-variétal ?
On a essayé, ça ne fonctionne pas bien. Contrairement à la vigne, pour avoir un bon cidre équilibré, en tout cas pour la distillation, on a besoin de cette complexité. On a besoin de l’amertume, du sucre et de l’acidité. On ne peut pas faire trois cidres et les assembler ensuite. Ça ne fonctionnera pas, parce que les cidres qui n’ont pas eu de pommes douces qui apportent le sucre auront eu du mal à fermenter. Il faut donc mélanger les pommes dès le départ.

On quitte ton domaine pour aller sur une île déserte. Quelles sont les trois bouteilles que tu emportes avec toi ?
La logique voudrait trois spiritueux parce que la bouteille dure plus longtemps mais je suis un inconditionnel de Champagne donc je dirais qu’il y aurait un Drappier, un Selosse ou un Jacquesson dans le lot. Il y aura probablement un pinot noir de Bourgogne aussi. Et puis j’ai envie de te dire un Calvados quand-même !
Quel Calvados ?
Là tu es dur. Sur l’île déserte il va faire chaud donc un 3 ans ou un 8 ans. On va rester sur la fraîcheur. Tu m’aurais dit bloqué à la montagne dans un chalet en hiver, je t’aurais répondu un Vénérable ou un Doyen d’Âge.

Peux-tu me citer un vigneron que tu admires ?
Il y en a pas mal. On parlait de Champagne tout à l’heure… une maison comme Drappier, je trouve ça super. Ils sont dynamiques, à la pointe de l’innovation, sur écologie… tu as l’impression que sur tous les secteurs ils vont bien et le produit dans la bouteilles est top. Il n’y a pas de fausse note. Je suis assez impressionné par ce genre de maison.
Quel est ton accord mets Calvados préféré ?
Du chocolat noir avec un vieux Calvados de 18, 20 ans d’âge. Un chocolat assez amer et puissant, du 80% ou plus.
Peux-tu me citer trois restaurants que tu apprécies particulièrement ?
Ma cantine, où on mange merveilleusement bien et où on s’amuse, c’est les Affiches, à Trouville-sur-Mer. Dans un tout autre registre, j’ai eu la chance d’aller deux fois au Jules Vernes et c’est magique. Voir le coucher du soleil du deuxième étage de la Tour Eiffel, c’est quand-même incroyable. Et aussi l’Odas du chef Olivier Da Silva à Rouen, qui a un macaron Michelin. On a un lien familial parce qu’il était marié à ma cousine. Je connais bien son restaurant et je me laisse à chaque fois emporté par ses créations.
Ma dernière question : que ferais-tu si tu ne faisais pas de Calvados ?
J’aurais bien aimé te répondre rugbyman professionnel mais je ne suis pas sûr d’être très crédible ! Ou skieur extrême ! Ou est-ce que je serais tout de même dans les vins et spiritueux si je n’étais pas dans le Calvados ? C’est dur à dire, je n’ai fait que ça, à par quelques stages pendant mes études. Je ne sais faire que ça donc je resterais dans la pomme !
"Clos de la Hurvanière"
Route des Calvados
14290 Saint-Cyr du Ronceray (Valorbiquet)
33 (0)2 31 63 71 53
Calvados Roger Groult est membre du Club Vignobles & Signatures
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